Citoyenne et (mais) mère

[Article de 2015, vous le comprendrez vite …]

Comme tout le monde, je me réveille abasourdie par ce week-end d’horreur. L’impression que nous avons traversé un cauchemar et que ce n’est pas vrai, l’espoir que chacune de ces 129 victimes se lève, danse un gros lipdub en nous disant que tout cela n’était qu’une mauvaise blague. Mais ça ne se produira pas, et nous le savons tous. Les loups sont entrés dans Paris … depuis longtemps déjà ; mais là ils y ont dévoré un bout de son âme, de sa joie, de son bonheur.

Aujourd’hui c’est un sentiment bizarre qui m’habite, et qui me surprend moi-même, mais contre lequel il est difficile de lutter … Il est principalement dû au fait que je suis mère, et que plus rien ne sera jamais comme avant.
En janvier, j’étais mère déjà, depuis 3 mois, quand les premiers attentats ont été perpétrés. J’apprenais, je tâtonnais, j’aimais inconditionnellement, mais mon regard était encore tourné vers ma vie « d’avant », mes idéaux. J’étais pleine de rage, de colère, de lutte, de révolte. Je me suis mobilisée, sans même réfléchir, allant des rassemblements aux marches, laissant mon petit bébé dans les bras de ses grand-parents pour aller me révolter avec détermination. « Not afraid » … Quel magnifique slogan, quel idéal de société et de vie. On avait peur, il faut être honnêtes, mais on ne le disait pas, et on agissait.

Mais voilà, aujourd’hui, je n’y arrive pas. Aujourd’hui je suis pétrifiée par la peur. Je n’ai même pas pu pleurer avant ce matin, je suis soufflée. Je n’ai qu’une seule idée obsessionnelle : protéger les miens. Je n’arrive pas à me lever en criant fièrement que je n’ai pas peur, qu’on est debout et qu’on vaincra. Cela vient peut-être de la nature de l’attaque : ces bars, ce quartier, je les connais, comme des millions de jeunes de notre génération, j’y avais des amis, je connais des victimes. Mais cela vient aussi du fait que je suis maman, que mes priorités et mes craintes ont changé, que j’ai tellement peur de ce pourrait lui arriver / nous arriver. Que l’une des choses les plus importantes que l’on cherche pour son enfant c’est la sécurité et que je ne nous sens plus en sécurité. Et là je me pose la question « et si toi tu ne te sens pas en sécurité, comment veux tu que ta fille se sente en sécurité ? Qu’elle soit sereine ? » Je sais. Et j’y travaille. Mais cela va prendre du temps. Et ce week-end j’ai plutôt tendance à me dire que même aller prendre un verre entre amis à deux pas de chez moi peut rendre ma fille orpheline. On entend souvent dire que devenir parent permet de retrouver son âme d’enfant, son insouciance ; aujourd’hui je pense le contraire. Je souhaite de tout coeur que ma fille la garde le plus longtemps possible cette insouciance, mais j’ai perdu la mienne.

J’entends déjà les grandes phrases « et que fais-tu de la liberté ? », « si tu penses comme ça c’est qu’ils ont gagné et il ne faut pas les laisser gagner », « on ne peut pas vivre la peur au ventre, c’est ce qu’ils veulent », « prends garde à ne pas tomber du côté de la lâcheté ». Vous avez raison. Je répondrai juste que cela passera, que pour le moment je suis tétanisée et mon besoin viscéral c’est de protéger les miens. Que bien sûr que je vais sortir et reprendre une vie normale demain, mais que cette vie quotidienne aura un goût amer mêlé d’angoisse et de tristesse. Demain, ma Petite I commence son adaptation à sa nouvelle garde ; je me ferai violence pour l’y laisser, pour ne pas la garder serrée contre moi, ce sera mon combat du jour. Cela paraît certainement ridicule alors qu’un combat bien plus sociétal et « global » nous attend, que des centaines de familles ont perdu les leurs, mais pour le moment j’ai du mal à faire plus. Pas de doute que le temps de la mobilisation arrivera, et chacun fera ce qu’il pourra ; pour l’instant n’ayons pas honte d’avoir peur et de nous concentrer sur l’essentiel …

Le reste suivra.

Prenez soin de vous, et des vôtres.

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